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Pérégrinus n’avait plus qu’à obéir. D’ailleurs il était dans ses principes, s’il ne pouvait plus temporiser, d’anéantir.

Une partie des prisonniers fut envoyée aux mines ; l’autre était destinée aux bourreaux. Il n’y eut plus d’interrogatoire, ni de jugement. Il en fut ainsi, à la même époque, en Thébaïde, où l’on mettait à mort, chaque jour, jusqu’à cent chrétiens. Chez ceux de Corinthe, l’imminence d’une fin véritable éteignit leurs dernières querelles. Il ne se trouva qu’un petit nombre de lâches. Bien peu — beaucoup moins qu’aux premiers jours des poursuites — osaient recourir à l’abjuration pour sauver leur vie. À envisager depuis si longtemps, et d’une façon quotidienne, la possibilité du supplice, on s’y était accoutumé. Mourir, bien mourir, était devenu l’objet des entretiens, le commun souci, parfois le désir, qui unissait entre eux ces hommes et ces femmes. Si plusieurs se sentaient moins fermes, ils eussent rougi de l’avouer. Les plus forts, les plus exaltés, donnaient le ton, faisaient la loi. On ne résistait plus à ces fanatiques. Cléophon se sentait porté vers eux par des élans où il y avait de l’admiration, un sentiment plus trouble, et jusqu’à l’appétit à la fois farouche et craintif de la rigueur des coups, de l’étreinte brutale des tortionnaires, des déchirements étranges qui précèdent la mort et la font souhaiter. D’ailleurs on ne lui parlait de la mort que comme d’une victoire. Double victoire : celle de l’Église, celle du chrétien qui succombait pour elle. On faisait partie d’une dernière cohorte sacrifiée pour achever le succès d’une bataille de trois siècles : gloire plus haute et plus éblouissante encore que celle des Trois Cents des Thermopyles. « Passant, va dire aux Lacédémoniens qu’ici nous gisons, pour obéir aux ordres ! » Cléophon frémissait d’orgueil et d’envie au souvenir de la