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rhine, obstinée. Il vous ignorait, et moi, qui maintenant vous connais, je vous hais ! Si vous n’aviez pas existé, nous serions encore heureux, Théoctène et moi. C’est vous qui l’avez tué, bien plus qu’Ordula.

— Songe que pourtant, observa l’évêque, le martyre va laver cette même Ordula du crime qu’elle commît à ton égard, et de toutes les souillures de son existence. Tandis que toi… ce n’est pas possible !

— Tu l’as dit : ce n’est pas possible ! Et je te croyais plus adroit, ou moins aveugle. Car s’il est une justice au royaume de ton Dieu, il ne saurait consacrer cette injustice. Et si c’était vrai… Si c’était vrai, et que je fusse chrétienne, je devrais durant toute l’éternité contempler le bonheur de cette femme qui a détruit mon bonheur. En pourrais-je alors éprouver ? Va-t-en. Tu ne crois pas mentir, mais tu mens. Tu t’abuses, et tu abuses tous ces pauvres gens.

À ce moment un garde, du haut des bâtiments du Téménos, annonça « none ». Sans s’émouvoir des injures de Myrrhine, Onésime, d’une voix forte, entonna la prière de cette heure ; car on priait en commun, quatre fois par jour : au dernier temps de la nuit, celui qui s’écoule entre le chant du coq et des premières lueurs de l’aube, qui est prime ; au milieu du jour, à l’heure du repas, qui est tierce ; à l’heure où le soleil se couche, où les lampes s’allument, qui est sixte ; au moment du sommeil, qui est none…

Ades, pater supreme, commença l’évêque. Et tous les chrétiens, assemblés pour la prière, répondirent en deux chœurs alternes. Les ascètes, nommés aussi « continents », les Parthènes, ou vierges sacrées, tenaient le premier rang, et l’on voyait, mêlées à elles, des femmes mariées qui avaient fait serment de s’abstenir