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plus tôt, le soir même de l’appareillage du yacht de lord Nettlewood, hors les passes de Cowes.

Henry de la Cadière, depuis je rie sais combien d’éternités, — mettons six mois, ou dix, ou huit trois quarts, si vous avez le goût de l’exactitude, — était l’amant attitré, le patito ?… comme on dit en Italie, — mais le patito recompensé, — de Mrs. Ashton… Le patito ?… Au fait, pourquoi pas ? La Feuille de Rose eût-elle pas pu s’appeler Cosmopolis ? France, Angleterre, Italie, Espagne, — la moitié de l’Europe n’y figurait-elle pas, et fort avantageusement ? Mrs Ashton avait donc jadis rencontré La Cadière à Cannes, durant un carnaval, et leur liaison s’y était assez promptement nouée. Mrs Ashton, quoique du monde le plus correct, était de ces Anglaises qui jugent volontiers pervertie la société parisiene, et qui, d’autre part, en bonnes voyageuses qu’elles sont, ne dédaignent pas de se conformer aux mœurs supposées des pays qu’elles hantent. Vertueuse à Londres, Mrs Ashton avait donc estimé convenable de l’être moins à Cannes. Et c’avait été pour le plus grand profit du comte de la Cadière. Ainsi, voilà pour eux, pour dire comme les conteurs arabes d’autrefois.

Le plus singulier d’une intrigue commencée de la sorte, à peu près sous le masque, et entre deux partenaires qui s’étaient vus pour la première fois dans une redoute et pour la seconde fois à une bataille de fleurs, c’est que cette intrigue avait duré. Le même carnaval n’en avait point vu le commencement et la fin. Tout au contraire, Henry de la Cadière et Grace Ashton, s’étant rencontrés et pris tout à fait par hasard, s’étaient tout de même liés l’un à l’autre assez durablement. Pour tout dire, ils en avaient eu quelques bonnes raisons, s’étant découvert réciproquement beaucoup de goûts, beaucoup d’idées et surtout beaucoup de défauts, voire de menus vices com-