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muns, et s’étant d’abord reconnus l’un et l’autre d’éducations pareilles et de races égales. Point n’en faut davantage, le plus souvent, pour changer en douce et forte habitude ce qui n’avait été dans l’origine qu’un caprice partagé. Ainsi s’étaient donc liés la toute exquise Mrs. Ashton, qui comptait parmi les perles les plus fines de laseason de Londres, et le très élégant comte de la Cadière, dont tous les journaux mondains de Paris signalaient avec religion les moindres déplacements et villégiatures. Et Paris, comme Londres, vite et dûment avertis de ladite liaison — très seyante, à la vérité, en nos époques d’ententes cordiales, — l’avaient fort approuvée, voire servie.

Il n’empêche qu’au soir même de l’appareillage de la Feuille de Rose hors les passes de Cowes, Henry de la Cadièrè s’était pris à flirter avec Germaine Francheville. Et, si Mrs. Ashton l’avait vraisemblablement trouvé mauvais, elle avait eu grand soin de n’en rien laisser voir, prouvant ainsi qu’elle était femme de bon goût et femme de bonne tête. La jalousie, pour retenir l’amant le plus incertain, fut toujours la plus déplorable tactique, et n’a jamais servi qu’à lasser la patience des hommes, en excitant leur fatuité. Or, face à face avec Germaine Francheville, Grace Ashton n’avait certes aucune faute à commettre, même légère. Car, en cette escrime raffinée qu’est le flirt, toute Française qu’elle était, Germaine Francheville n’eût trouvé son maître ni à Londres ni à New-York. Et Dieu sait si l’on y sait flirter plus hardiment qu’à Paris !

Mme Francheville, veuve à vingt ans, n’avait jamais daigné se remarier. Très jolie et très riche, elle avait jugé superflu d’aliéner la moindre part d’une liberté que la société moderne mesure aux femmes mariées comme aux jeunes