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choquant de son verre le verre du peintre Balzan revenu avec lui. — Don Juan, quel est votre premier souhait sur cette terre bougrement inhospitalière ?

— Que nous en revenions tous meilleurs, ayant tous vu, l’ace à face, la Vérité, dont le puits est ici près ! — proclama le peintre Bazan, qui regarda assez ironiquement le prince Alghero, son compère.

Ils s’étaient liés de longue date, se chérissaient aussi tendrement que peuvent faire deux vieux hommes très avertis de toutes choses, et se tenaient l’un l’autre au courant de tout ce qu’il advenait de singulier ou de pittoresque dans la société où le hasard les avait réunis.

— Don Juan, — répéta le prince Alghero, — vous êtes un grand seigneur des Arts et de la Peinture, donc, de l’Immortalité… c’est pourquoi j’ai ferme confiance en votre jugement et en votre intuition… Pourquoi donc, je vous en prie, avez-vous, tout à l’heure, exaspéré sciemment le pauvre lord Nettlewood à propos de sa falaise de Galloway, et des brutes d’Irlandais du Sinn Fein ? Cela ne nous regarde pas, cher ! Nous autres, simples pique-assiettes, et tributaires obligatoires des géants de ce monde, pourquoi diantre irions-nous à l’encontre des lords et des magnats, de tous ceux, bref, qui détiennent une quelconque bribe de la Toute-Puissance Aurifère, souveraine de cette médiocre planète ? Don Juan, vous et moi, nous ne sommes que deux très pauvres bougres. À quoi bon jouer les pots de terre contre les innombrables pots de fer qui martèlent l’humanité ?

Le fait est que don Juan Bazan et que ser Carlo, prince Alghero, étaient des hommes sans fortune aucune, et dont la vie s’écoulait à tâcher d’exister aux dépens d’autres hommes plus fortunés qu’eux-mêmes. C’est peut-être pourquoi