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La bonne dame était très Française ; optimiste donc d’instinct, courageuse de race et, qui mieux est, farcie de bon sens.

— Vous ne me persuaderez pas, — continua-t-elle, — que nous courions sérieusement un tel danger, ici… dans une île déserte, soit, mais toute proche d’un tas de lieux habités !… et, d’ailleurs, dans une île où nous a déposés cette bonne Feuille de Rose que vous avez vraiment tous trop vite fait d’enterrer !…

— Je crois pourtant, — objecta don Juan Bazan, — qu’à cet égard nous ne pouvons pas conserver beaucoup d’illusion…

— Eh ! monsieur ! — coupa la vieille Française, très dédaigneuse, — parlez peinture, et laissez-nous tranquilles, quand il s’agit non de barbouiller, mais de vivre !

L’Espagnol se tut tout net, et l’Italien comme lui.

Lord Nettlewood, seul, qui avait eu le temps de méditer, répondit à La Cadière, et répondit par une question :

— Vous êtes très sûr ?

— Comme d’être ici, et de parler à vous, — affirma l’autre.

Un deuxième silence s’abattit.

Puis, hésitant, l’honorable Reginald Ashton risqua :

— Pour ce soir, nous dînerons. Il reste largement de tout ce qu’il faut…

— Et demain, il fera jour ! — proclama presque souriant le comte de Trêves qui, n’ayant d’ailleurs jamais su conserver dix minutes de suite la même idée, prétendait lutter contre la mélancolie générale.

Tout de suite, sa femme, l’ayant entendu, se hérissa :

— Il fera jeur, grâce à quoi nous nous verrons mourir de faim ! Pou, si c’est là tout ce que