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XVII

Ayant donc compris, comme tout le monde, lord Nettlewood, s’estimant toujours le chef des naufragés de l’île au Grand Puits, comme il avait été le chef des passagers de la Feuille de Rose, parla :

— De toutes façons, — dit-il, — il nous reste un repas. La plus simple prudence exige que nous le réservions pour la faim à venir. Je précise : ce soir, donc, on ne dînera pas.

— Hein ? — questionna, stupéfait, le prince Alghero.

Il avait parlé beaucoup plus haut qu’il ne parlait à l’ordinaire. Lord Nettlewood, imperceptiblement choqué (il n’aimait pas que personne, jamais, parlant après lui, n’élevât la voix ; il n’aimait d’ailleurs pas l’élever lui-même…) lord Nettlewood, ayant regardé tout le monde, en rond, sans arrêter son regard sur aucun, interpella comme au hasard :

— Par hasard, quelqu’un ne serait-il pas, ici, de mon avis ?

La réplique vint tout de suite, énergique :

— Mais assurément, oui ! quelqu’un, mon cher lord : moi… moi, qui ne suis du tout de votre avis !… Moi, Carlo, prince Alghero…

Tout ensemble déconcertée et froissée, Sa Seigneurie considérait l’hôte rebelle. Mais Alghero, alerte, redoubla :

— Il y a moi, oui !… Et je m’explique : mon cher lord, le plus simple bon sens m’ordonne de vous affirmer que, pour parler d’abord des plats chauds dont, ce tantôt, nous nous délectâmes, il ne saurait être question de rien réserver ni des quenelles de bonites, ni des côtes de moufflon à la diable : autant réserver pour cette faim à venir,