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Or, la nuit passa sur l’île au Grand Puits tout mollement, et nul ne perçut le bruit de ses nocturnes ailes. En cette nuit, paisible à miracle, on put seulement entendre, dans la caverne, les pleurs de Mrs. Ashton, qui, Dieu sait pourquoi, semblait inconsolable d’être contrainte à faire, par hasard, chambre commune avec son époux ; et, en écho, hors la caverne, les cris de Mme Francheville, qui paraissait, elle, prendre toute la terre à témoin d’un bonheur décemment incompréhensible, — et qu’elle s’efforçait de ne pas contenir. — Quant aux autres habitants de Graciosa, les uns dormirent en silence, les autres firent semblant ; et peut-être y eut-il de ceux-ci plus que de ceux-là. Car force gens dorment mal, s’ils croient dormir pour la dernière ou l’avant-dernière fois. Seule, peut-être, Mme la marquise d’Aiguillon ne s’en soucia guère, et fit tous les rêves que Dieu voulut : bon chien chasse de race ; et feu Mme la marquise d’Aiguillon, bisaïeule de celle-ci, avait dormi tout son saoul, la veille du jour que Samson la guillotina, sur la place Louis XV. — Il n’était d’ailleurs là rien d’extraordinaire : les femmes de France ont accoutumé d’être braves ; et Turenne, qui s’endormit sur l’affût d’un canon, la veille de sa première bataille, n’était rien de mieux, somme toute, que le fils d’une Française…

Minuit sonnant, lord Nettlewood, qui, lui, dormait mal… tout le monde ne peut pas être Français ! et honni soit qui mal pense de ceux que leur destin condamne, faute d’être cela, à être autre chose !… minuit sonnant, donc, lord Nettlewood ; s’étant levé de sa couche de sable, et se promenant, çà et là, par la caverne, se heurta à l’honorable Reginald Ashton, qui, sans raison apparente, se promenait aussi.

— Reggie ! — appela Sa Seigneurie : — c’est vous ?