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de mariage il fût toujours aussi amoureux de sa femme. Doña Zoila (les noms de ce genre ne sont pas rares là-bas) était fort belle ; c’était le type de la patricienne argentine, qui, mère d’une nombreuse famille, garde intactes la beauté et la grâce de sa première jeunesse et qui, même entourée de ses petites filles, conserve encore du charme et de l’attrait. Cette matrone aux yeux noirs, à la taille majestueuse, montrait toute la splendeur physique d’une race saine et forte qui pour céder à la mode s’entoure d’un luxe énervant, mais ne s’est pas encore laissé vaincre par lui.

Doña Zoila était toujours invitée la première à toutes les fêtes. Son opinion avait force de loi ; elle indiquait ce qui était distingué et ce qu’on devait tenir pour vulgaire. Elle déclarait en frémissant d’orgueil que tous ses vêtements venaient de Paris et que, par delà l’obstacle de trois mille lieues de mer, les grands couturiers de là-bas étaient préoccupés de l’élégance de sa personne.

Quand les représentants des maisons de la rue de la Paix arrivaient à Buenos-Ayres ils prenaient à peine le temps de faire transporter à l’hôtel les modèles de la saison prochaine et prévenaient d’abord Mme Pedraza. Ils savaient qu’elle était bonne cliente et aussi que bien des gens se réglaient sur ses goûts et ses conseils.

Après son succès de femme élégante, rien ne lui était plus doux que de pouvoir dire en causant dans un salon avec quelques étrangers :

— Et telle que vous me voyez, je suis mère de six jeunes filles.

Elle était presque humiliée d’avoir une descendance si peu nombreuse, aussi se hâtait-elle d’ajouter :

— Une de mes sœurs a dix-huit enfants ; beaucoup sont des garçons.

Il n’y a là rien que de normal dans un pays