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mencé, comme si de rien n’était. Lola et moi nous échangeâmes des regards stupéfaits. Nous nous sentions mal à l’aise. J’avais envie de lui demander ce que cela signifiait, ce qu’il avait dit, et pourquoi il avait fait cela. Mais j’éprouvais une sorte de gêne, et je continuai de lui répondre comme si rien n’était arrivé.

On l’appela alors de la part d’Annouchka. Elle avait fait attendre quelques solliciteuses avec lesquelles il devait personnellement s’entretenir. À la salle à manger, il y avait encore plus de dames. On entendait sonner presque sans interruption le téléphone auprès duquel se tenait Nioura, sa nièce. Elle notait des adresses, répondait aux questions, appelait à l’appareil, tantôt Kilina, tantôt Annouchka, tantôt le père lui-même. Dans l’antichambre, la sonnette n’arrêtait pas ; de nouveaux visiteurs arrivaient, apportant des cadeaux, des fleurs, des tartes, toutes sortes de choses. Tout ce bruit et cette agitation m’avaient donné mal à la tête. Je dis à Lola que je ne pouvais plus y tenir. Elle était aussi mortellement fatiguée, et nous partîmes ensemble.

Comme je me disposais à partir le soir pour Kiev, je reçus ce télegramme : « Alice va mieux. La fièvre est tombée. » Je décidai de rester encore un jour.

Ce soir-là, Raspoutine vint nous voir. Évidemment, c’est Lola qui l’attire comme un aimant. Il avait renoncé à un souper promis pour se rendre chez nous. Nous eûmes ensuite une curieuse conversation, dont je ne sais de nouveau que penser. Je lui montrai le télégramme.

— Est-il possible que ce soit toi qui l’aies secourue ? dis-je, bien entendu, sans y croire.

— Je te l’avais bien dit qu’elle serait bien portante, me répondit-il sur un ton sérieux et convaincu.