Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/382

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du visage modelée dans de la mort et les prunelles comme uil regard de Dieu ! Qu’elle était belle !

Elle a couru vers le fond de la chambre, elle n’a pas dit un mot, ses lèvres étaient closes (ah ! voici que mes tempes résonnent comme un tambour voilé) et sur son mince visage serré dans le casque de ses cheveux, quelle résolution inflexible !… Horreur de l’imaginer tombée sur le dos, et la tache de sang, la petite tache ronde et rouge dans la longue blancheur du linge, au niveau du cœur ; et on ne la touche pas, dans l’attente du médecin ; on la regarde, mais de loin… Qu’elle est blême !… Je ne vois que le blanc des yeux… Ils sont révulsés… La tête a roulé… Et il n’y a qu’une toute petite blessure, une perforation triangulaire, un rien de chair affaissée, une boursouflure de chair, bleutée, livide… Je ne vois pas le poignard…

Ô Marie-Anne, mon amour, à mon tour voilà que je suis déchiré ! Ce ne sont pas les fauves chiennes de la vengeance, c’est l’aveuglement de ma vie, je t’aime et tu es morte !

Je ne pourrai plus vivre.

Qu’ils m’emprisonnent et qu’ils me tuent, ne suis-je pas déjà un homme mort ? Comment voulez-vous que je continue de passer seul dans les rues où nous allions ensemble, dans les salles où son ombre ne sera pas moins réelle que sa présence ? Ah ! comprenez-le enfin ! Vous me parlez et c’est sa voix que j’entends, la coupe de votre robe la recrée tout entière, comment voulez-vous que je vive ?… J’avais quinze ans quand je devins malade d’un amour dont on peut mourir pour la madone de fra Filippo Lippi, celle qui est à Dresde. Je l’avais retrouvée, vivante…