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manda un beau jour le changement d’air, la campagne, et une vie parfaitement végétative. Anne-Marie avait alors près de quinze ans, sa fébrilité s’était accrue et son regard, durant cette période, devenait parfois si étrange, que ses parents s’alarmaient de nouveau.

Il est temps de parler ici de l’homme bizarre et charmant qui fut le confesseur de Mlle de Saint-Cast et reçut les épanchements de son jeune cœur éploré.

C’était l’abbé Manet, personnage savoureux.

La Révolution le surprit chapelain de l’Hôtel-Dieu de Saint-Malo, et ils furent deux, son collègue l’abbé Doublet et lui-même, à refuser de prêter serment à la constitution civile du clergé. Honnis par les patriotes malouins, alors pleins d’entrain pour l’application des nouvelles lois, traités de fanatiques et poursuivis, ils furent destitués de leurs charges le 1er mars 1793.

Alors commença pour l’abbé Manet, résolu à ne pas quitter sa ville, une existence romanesque mais dangereuse ; traqué, espionné, il échappa, on ne sait comment, aux périls de l’arrestation, quoique son audace fut extrême. Il se cacha longtemps à la Ville-Houx, déguisé en garçon de ferme, servant les ennemis des terroristes de mille manières, contrefaisant parfois l’imbécile, ouvrant comme par mégarde les portes fermées, et secondant de tout son pouvoir intelligent ses amis aux abois.

À la Ville-Houx, un langage secret fut inventé pour prévenir l’abbé du danger. Ce garçon de ferme à l’air hébété, lorsqu’il entendait pronon-