Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/69

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vie, et son peu de réaction n’est-il pas dû encore au mal dont les symptômes ont jadis alarmé ses parents, sans le leur révéler toutefois ? Pour son intelligence, je la crois moyenne, quoique Anaïk[1] paraisse souvent avisée et fine, se conduise avec mesure, mais c’est qu’elle est fort bien élevée et sait se contraindre jusqu’au jour où elle sera dominée ; à partir de cette date, sa faible volonté, sa jeunesse seront à la merci du personnage qu’elle aura rencontré pour son malheur. Vis-à-vis de celui-là, elle sera incapable de se raisonner et de se reprendre, elle se laissera aller à une force qui pèsera sur elle et lui imposera sa loi, du moins c’est ainsi que l’on peut expliquer la singulière attitude d’envoûtée qu’elle aura par la suite.

À la pension, Mlle de Saint-Cast, réservée avec les étrangers, se lia peu avec ses camarades et, pendant les années qu’elle y passa, n’élut vraiment qu’une amie, une jeune fille nommée Yvonne Renaudier, fille d’un conseiller au Parlement de Rennes. Nous avons la description de cette petite personne : c’est une brune potelée au visage rond et gai, aux lèvres rouges, « respirant la santé et la force », son rire « communicatif est éclatant » ; elle aime à danser, et apprend à son amie à jouer de la harpe et à faire des fleurs artificielles. Lorsqu’elle eut achevé ses études, Yvonne Renaudier quitta l’établissement, où jusqu’ici elle demeurait comme pensionnaire, et regagna Rennes, au grand dépit d’Anne-Marie, qui eût voulu la garder près d’elle ; séparées, les jeunes filles promirent de s’écrire et de ne rien se cacher de leur vie. C’est ainsi que s’établit entre elles une correspondance, que nous avons pu parcourir, et dont les détails ont permis de combler bien des lacunes de cette très mystérieuse histoire.

  1. Abréviation bretonne d’Anne-Marie.