Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/109

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journaux. J’ai lu que l’année dernière les paysans ont bu 700 millions de roubles d’eau-de-vie… Et un million, c’est mille fois mille roubles !

Ivan. — Mais est-ce nous seuls qui buvons cette eau-de-vie ? Regarde les popes, de rudes buveurs ! Et les riches aussi ne boivent pas mal !

Le Chemineau. — Sans doute.

Ivan. — Alors quoi ! Il ne faut plus boire ? Mais qu’on boive ou qu’on ne boive pas c’est la même chose, on n’a pas de quoi vivre, on n’a pas de terre… Ah ! si on avait de la terre, on pourrait vivre, mais il n’y en a pas !…

Le Chemineau. — Comment, il n’y en a pas. Regarde autour de toi : partout, de la terre…

Ivan. — Oui, elle est tout près, mais elle n’est pas à nous : le coude est près de la bouche, mais on ne peut pas le mordre.

Le Chemineau. — La terre n’est pas à vous ? À qui donc est-elle ?

Ivan. — À qui ? Belle question !… Un de ces diables pansus a accaparé pour lui seul 1 700 déciatines et encore il trouve que c’est peu… Et nous autres, nous avons même cessé d’élever des poules, faute de place. Bientôt on n’aura même plus de bétail… il n’y a pas de quoi le nourrir. Et si un veau ou un cheval entre dans son champ, tout de suite une amende. Il faut vendre jusqu’au dernier morceau pour la payer…

Le Chemineau. — Et pourquoi lui faut-il tant de terres ?

Ivan. — Pourquoi ? Mais c’est connu… Il sème, récolte, vend et met l’argent à la banque.

Le Chemineau. — Mais comment peut-il cultiver un si grand espace ?

Ivan. — Tiens, tu raisonnes comme un enfant. Puisqu’il a de l’argent, il loue des ouvriers qui labourent et récoltent.

Le Chemineau. — Et ces ouvriers, il les prend parmi vous ?