Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
LE SUCRIER EMPIRE

meil, tout me porte à croire que c’était bien ce qu’elle pensait en se mettant à table.

— Homard à l’américaine ? nous dit le maître d’hôtel avec le même air complice qu’il aurait eu pour nous dire : « Nous avons un lit au premier ! »

— Homard ! s’écria Jeanne.

Hélas ! Vingt minutes après, un morceau de carapace se glissait dans ma troisième molaire supérieure, en détruisait le pansement savant, un ciment aurifié, et de la tempe au cou, une rage de dents effroyable me martelait la tête. Le brillant causeur et l’amant ingénieux que je m’apprêtais à être disparaissaient devant ma joue gauche, immédiatement enflée. Enflée au point que, me croyant la bouche pleine, le garçon n’osait nous apporter la suite !

Quatre jours ! La rage dura quatre jours, pendant lesquels je n’eus qu’à m’enfermer dans ma chambre, la cervelle en feu, l’œil tuméfié, avec des gargarismes de guimauve et des tubes d’aspirine ! Quatre jours à ma fenêtre d’où je voyais Jeanne aller et venir sur la plage ! Quatre jours au bout desquels Gaston revint, la Russie enfin pourvue de bretelles ne déformant pas les pantalons !

— Alors, mon vieux, me dit-il, tu as été malade ? Jeanne s’est embêtée à mourir. Nous rentrons. Viens nous voir à Paris. Bergère 44-17. Tu t’invites à déjeuner. On te fera du tapioca et de la bouillie pour tes quenottes… Fais-moi le plaisir de rester dans ta chambre et de ne pas nous accompagner à la gare qui est pleine de courants d’air ! À bientôt !

J’ai procédé sans hâte au dégonflement de ma joue et je suis rentré, trois jours après les Poussenot.