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LE SUCRIER EMPIRE

Dans le commerce, une affaire mal engagée est difficile à rattraper, mais en amour, c’est théoriquement impossible. Il m’a fallu un mois d’efforts pour pouvoir placer un soupir. Je me suis suspendu au Bergère 44-17. J’ai déjeuné quatre fois chez mes amis. J’ai accompagné Jeanne à l’Exposition des Chrysanthèmes où je n’ai jamais eu si chaud au cœur et si froid aux pieds. J’ai trimballé le ménage au théâtre et j’ai connu ce plaisir excitant de dire à la femme devant le mari :

— Voulez-vous venir dans ma baignoire, ce soir ?

On se contente de peu… J’ai risqué quelques allusions à nos quatre jours de Dinard si bien perdus. Si l’expression ne me paraissait pas stupidement déplacée, je dirais que j’ai, petit à petit, repris du poil de la bête. Jeanne m’a donné un rendez-vous dans un grand magasin ; elle n’y est pas venue, mais l′intention était gentille.

J’ai pu une autre fois la raccompagner dans un taxi, mais mené par un chauffeur si imprudent que nous ne pensions qu’à recommander nos âmes à Dieu. Et puis, enfin, est arrivé ce soir du Vaudeville où je viens de lui dire :

— Jeanne, je vous aime ! Quand serez-vous à moi ?




J’ai demandé le 44-17 à l’heure où Poussenot-la-Bretelle est sûrement à son bureau. C’est elle qui m’a répondu :

— C’est vous, cher ami ? Comment va ?

— La même chose. Le mal que je vous ai signalé hier soir à la sortie du Vaudeville continue… Vous êtes seule ?

— Toute seule. J’ai pensé à vous ce matin…