Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme le seuil d’une volonté réticente, jalouse de le refouler ou de le couvrir. Plutôt que de trahir les délices de ma défaite, mon premier mouvement pour la tenir cachée eût été de la contester, de la nier même. Était-ce horreur de rien laisser voir d’un fond de nature essentiel ? Ou la vibration trop puissante menait-elle trop près de la source des larmes vers ces défaillances du cœur déjà estimées un peu « filles » par mes six ans de petit garçon sourcilleux ? L’excès de l’émotion m’inspirait-il la vague crainte de me laisser efféminer, comme autrefois les Grecs par la flûte lydienne ? Mais ils ne boudaient pas à la lyre, je boudais à l’orgue comme au piano. Tant il est vrai que ces explications ne règlent pas tout !

J’incline donc à demander s’il n’y eut point là comme l’obscur avis des préparatifs du destin. Une violente crise de déception approchait avec le moment où j’allais avoir à faire mon deuil de la carrière de voyages et de batailles sur la mer, que le souvenir de plusieurs des miens m’avait fait caresser dès l’enfance. Qui sait si, en organisant le silence et presque la honte sur toutes ces extases où me plongeait le mystère de la musique, d’instinctives prudences, de vigilantes charités ne tendaient pas à m’épargner un surcroît d’affreuse amertume ? Il était vraiment temps d’éloigner de mon cœur jusqu’à la pensée d’une ambition musicale ; j’étais en train de perdre, avec le véhicule organique des sons, tout moyen de me développer en ce sens.


II

Initiation.

Heureusement, rien de pareil n’aura gêné en moi le libre cours de la poésie. Je la connus d’aussi bonne heure que le chant. Je parle de la poésie sérieuse,