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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

rien voir, bien que j’entendisse parfaitement. Je surpris ainsi que le valet de chambre accourait à l’appel de son maître. Tous deux revinrent vers moi.

— Il est mort ?… questionna le domestique.

— Une embolie, là, devant moi.

— On peut dire que monsieur n’a pas de chance. Voilà le troisième en huit jours, dans le cabinet de Monsieur !… Qu’est-ce que cela va faire, pour la réputation de Monsieur, je me le demande.

— Je m’en fiche, Jean, et dispensez-moi de votre opinion. Je vous demande simplement de m’en débarrasser comme des précédents.

— Monsieur sait son nom, son adresse ?

— Voyons, vous ne le reconnaissez pas ?

— Mais, c’est M. Étienne Montabert, l’ami de Monsieur !

— C’est lui, en effet.

— Quel malheur !

— Peuh !… faut voir… Allons ! hâtez-vous, Jean.

Je ne rapporterai pas pour l’instant l’invraisemblable confusion de mes pensées. Elles furent aussi tôt dominées par la surprise d’entendre déclarer que j’étais mort, alors que mes sens restaient en activité. Je ne pouvais certes contrôler la fonction de mon odorat, puisque je ne respirais plus, ni celle de mon goût, puisque je ne mangeais ni ne buvais. Mais je gardais l’ouïe ; ma vision n’était en rien supprimée quand Tornada m’avait ouvert les paupières et je percevais, tout le long de mon être étendu, le toucher du parquet. Donc, vraisemblablement, tous mes sens me restaient.

Je m’étonnais aussi que cet état de momification, consécutif à l’injection du 222, fut le remède que Tornada opposait à des troubles pathologiques d’origine purement mentale. J’avais, certes, une croyance aveugle en tout ce que mon savant ami entreprenait pour le bien de ma santé ; mais la cure de tourments moraux par la paralysie musculaire m’échappait totalement. Et voyez la prédominance