Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/22

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je rumine ce que j’écoute avec un intérêt qui n’a d’égal que l’attention de mon petit chien blanc, le nommé Fidèle, qui ouvre des yeux tendres en remuant la queue. L’animal n’a de goût que pour l’alexandrin romantique. Quand, soucieuse de varier nos plaisirs, ma marraine prend le fablier et me fait faire la grosse voix pour imiter le loup : Tu la troubles, lui dit cette bête cruelle, Fidèle s’enfuit en hurlant.

Et moi, qui ai besoin de savoir clairement ce que chanter veut dire, voilà que je me livre à la grâce des vers sans me soucier beaucoup de leur sens. Ma jeune marraine, attentive aux liaisons grammaticales, m’avait fait prononcer le lou-pet-l’agneau : une rêverie nonchalante évoqua peu à peu un loup qui se serait appelé Pelagnau. Telle fut tout d’abord, l’insensibilité mallarméenne de mon cœur à tout ce qui n’était point la poésie pure. Henri Ghéon en sera triste, Albert Thibaudet réjoui. Mettons-les d’accord en disant que tel est le délicieux engourdissement que la langue des dieux insuffle à de jeunes cervelles dont on a cru remarquer la précocité.

Croyez-moi, même au prix de contresens de ce calibre, marraines, nourrices, mamans ne diront jamais trop de vers dorés aux enfants quand ils sont encore tout petits. La correction, la mise au point viendront à l’heure, et les erreurs grossières s’en iront quand il le faudra : quelque chose de bon, de doux et d’utile sera gagné.

Principalement, les belles personnes seront bonnes et sages de mêler de leur mieux l’accompagnement de la poésie au sillage de feu que leur splendeur nous laisse. Je n’oublierai jamais la visite que nous fîmes, mon père et moi, à une jeune institutrice adjointe, nouvellement promue, que l’inspecteur d’académie avait beaucoup recommandée à mes parents. Mlle Élise, souffrante et alitée, nous reçut dans sa chambre où elle était soignée par sa mère. Sur le seuil, je dus m’arrêter, le cœur suspendu. Qu’elle était belle ! Je ne voyais d’abord que les cheveux d’un