Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

châtain très foncé qui, tendant au noir absolu, se répandaient sur l’oreiller en ondes, boucles et anneaux d’une inépuisable magnificence. Elle m’appela, m’embrassa et, tandis que mon père l’écoutait et l’interrogeait, elle me souriait et jouait avec moi. Paroles et sourires la faisaient étinceler tout entière. Je m’accoutumai peu à peu. Bientôt, du front uni comme un croissant de marbre à la bouche décolorée dont la forme parfaite rendait la pâleur plut touchante, je me permis un long regard d’admiration, si fervent que j’aurais joint les mains de bonheur ! Alors, elle prit garde de ne pas nous laisser partir, que je n’eusse dit une fable et, comme j’en savais beaucoup, au premier signe de mon père, La Cigale et la Fourmi, Le Chêne et le Roseau succédèrent au Lou-Pelagneau. L’obscur désir de plaire secondait la politesse et la volonté d’obéir. Pour récompense, ma nouvelle amie me reprit dans ses bras et, m’ayant fait asseoir près d’elle, proposa de m’apprendre quelque chose d’encore plus joli que mes fables, ce qui me parut osé ou chanceux, bien que je fusse disposé à la croire les yeux fermés. Elle commença gravement :


À qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers ?

Pour qui ces torches qu’on excite ?


Bien qu’une douce voix vibrante fit valoir le nombre enchanté, ce ne fut pas tout à fait clair aux premières rimes. Peu à peu l’histoire se dégagea, le sujet m’apparut, je vis s élever le bûcher, briller le feu du sacrifice et j’entendis pousser le cri de la Pucelle, dont les cheveux épars ne ressemblaient que trop à ceux que ma main caressait :


Ah ! pleure, fille infortunée,

Ta Jeunesse va se flétrir

Dans sa fleur trop tôt moissonnée !

Adieu, beau ciel, il faut mourir.