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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

elle courût, aussitôt Tornada parti, à mon cabinet, pour réclamer au téléphone le Ségur 102-90. Sa communication obtenue, elle ferma la porte, en sorte que je n’entendis rien de la conversation. Mais il me sembla qu’elle était assez animée et — je n’oserais le jurer — qu’un rendez-vous, pris pour le lendemain, était décommandé. Je ne réfléchis qu’ultérieurement que l’heure qu’il était dépassait de beaucoup la fermeture des bureaux. Il est vrai qu’on peut toucher un homme d’affaires à son domicile, et, vraisemblablement, Ségur 102-90 avait son travail au même endroit qu’il habitait.

La communication achevée, Lucienne passa dans sa chambre, séparée de la mienne par un cabinet de toilette commun. Elle s’ablutionna, puis ouvrit des commodes, des armoires. Le bruit soyeux des vêtements, tirés de leur enveloppe, me parvenait. Elle apprêtait mon « gala », comme disait Tornada. Mme Godsill l’aidait.

Et elles causaient, c’était forcé :

— Toi aussi, ma chérie, il va falloir que tu penses à ta toilette.

— Dès demain, à la première heure.

— Que choisis-tu ?

— Du crêpe Georgette.

— C’est ce qu’il y a de mieux, le noir va si bien aux blondes !… Tu mettras une bride au chapeau ?

— Oui, mais blanche.

— Tu as raison. Ce sera moins lugubre.

— Du reste, tu sais, je ne compte pas m’éterniser dans le deuil. Qu’est-ce que ça prouve, le deuil…

— Évidemment…

— Le demi-deuil me suffira. Avec du noir, du mauve et du blanc, on s’en tire.

Une autre armoire grinça. Mes souliers vernis claquèrent sur le carrelage.

— Dire qu’il les a achetés il y a trois jours, le brave homme !… Il ne se doutait pas… Portons tout