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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Hélas ! Tornada m’avait clos les paupières et je ne pouvais lui demander de me les rouvrir, quand il reparut !…

— Faisons vite… pressa-t-il, J’ai encore du travail. Je me couche à des heures impossibles ! J’en arrive à envier le bon repos de ce brave Étienne ! Ah ! mourir !… mourir !… ce qu’on doit être bien, dans le néant !…

— Ce n’est pas le néant, docteur… protesta hautement Lucienne.

— Ah !… qu’est-ce que c’est, alors ?… Y êtes-vous allée ?… En êtes-vous revenue, pour affirmer ? Je devinai qu’il me montrait à ses interlocutrices.

— S’il pouvait parler, celui-là… S’il pouvait nous raconter un peu où il est… ce qu’il fabrique en ce moment !…

Et confidentiellement :

— Tenez, mes bonnes amies, vous ne vous doutez pas que vous venez de marcher dans mes plates-bandes, en parlant de survie. J’en fais l’objet de mes travaux en ce moment… Entre nous, hein ?… Mais réfléchissez : qu’est-ce que l’âme : c’est la pensée. Qu’est-ce que la pensée : c’est la fonction cérébrale… Vous y êtes ?… Bon. Si l’âme subsiste après la mort, que se passe-t-il d’elle ?… Vous dites, vous, mes mignonnes : l’âme prend sa retraite auprès du Père Éternel, ou bien elle se fait mettre à la broche par Satan, ou bien elle marine dans les Limbes. C’est votre idée, elle est respectable, je ne la discute pas. Mais j’ai bien le droit d’avoir la mienne. Eh bien, je pense, moi, Tornada, et j’en aurais bientôt la confirmation, je pense que si l’âme subsiste après la mort, c’est…

Il bondit vers mon cadavre, et me tapant sur le front :

— C’est là, dans le ciboulot, qu’elle reste nichée !… Oui, c’est là !… Vous haussez les épaules ?… Non, vous ne les haussez pas, parce que vous avez l’usage du monde. Mais vous vous dites : ce Tornada est