vagues inquiétudes, issues des propos de ce satanique ami. Elles prennent assez de consistance pour me plonger dans une horrible perplexité. J’y vais penser toute la nuit.
Ah ! cette nuit !… ma première nuit mortuaire !…
Mais n’anticipons pas.
Mlle Hélène revint aussitôt après avoir reporté Ninette dans son lit. Elle s’agenouilla au pied du mien et s’abîma longtemps. Elle priait. Elle priait comme prient ceux pour qui le recours à la divinité est une sorte de pénétration céleste, de communion avec l’être supérieur de leur foi : c’est-à-dire, sans prononcer d’oraisons, sans marmotter de prières, de litanies chrétiennes. Elle ne demandait rien à sa religion. Croyante, elle était au-dessus de sa croyance. Elle planait dans les lieux célestes où elle me savait.
Mais parfois, des soupirs, partis du plus lointain de sa poitrine, me parvenaient comme un message qui me fût personnel. Je ne départageais pas encore l’humain et le divin de sa tristesse. En étais-je l’unique provocateur, ou lui suggérais-je seulement le souvenir de son fiancé tué pendant la guerre ? ou bien ces deux empreintes se fondaient-elles dans son cœur endolori ?… Je ne sais, mais elle m’inondait de ces effluves d’âme dont j’ai parlé, et sa virginale compagnie me créait une douce ambiance. Je l’eusse souhaitée se prosternant ainsi pendant des heures. Maintenant, j’en étais sûr, c’était d’elle que m’était venu, dès mon retour chez moi, le premier hommage d’une larme sur ma main.
Elle se releva pourtant. Quelqu’un venait. Elle se donna contenance en rangeant des sièges, en alignant mes flambeaux. Elle aimait l’ordre, la discipline, l’honnêteté des choses, pareille à celle de ses sentiments. Et puis elle ne voulait rien laisser soupçonner de son deuil intérieur aux dîneuses qui s’en venaient me saluer avant d’aller coucher.
— Je ne vous ai pas remerciée, mademoiselle, de prendre ma place cette nuit. Croyez bien que per-