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m’apprendre, pour ce jour-là, l’Hymne de l’Enfant à son réveil :

Ô père qu’adore mon père,
Toi qu’on ne nomme qu’à genoux

Mais le volume qu’apportait M. l’abbé ressemblait à un catéchisme de quatre sous. Comme si elle eût compris mon dégoût secret, ma mère alla choisir, entre les livres de mon pauvre père, l’in-octavo original imprimé sur papier glacé par Fume et Pagnerre et vêtu d’un demi-reliure violette. C’est à même les Harmonies que fut ainsi apprise la première leçon. Bien que déjà fort en lecture, on me lisait, je suivais et je répétais. Mon goût avait un peu changé : le plaisir de l’élan et de la mesure se doublait de la fière joie de comprendre jusqu’à la fin. La pièce n’est pas des plus belles de Lamartine, mais les vers coulent bien d’accord sur les déclivités de l’esprit et du cœur. Un seul mot accrocha :

La chèvre s’attache au cytise…

Jusque-là, je rangeais sous le nom général de bouquet des collines ces tigelles que nos paysans nomment aubour ou sanjanet. Lorsque l’on m’eût fait voir et toucher des brins de cytise, je sus vite mon hymne et le récitai sans broncher, quoique, à la vérité, un peu vite, me fut-il dit.

J’avoue que ces vers pleins de grâce me laissaient un plaisir mêlé. Ils m’avertissaient un peu trop que le poète balançait son urne embaumée pour une main d’enfant comme moi. Comme tous les enfants, je n’aimais bien que ce qui pouvait convenir aux grandes personnes. Mais, depuis quelque temps, je savais où trouver et respirer l’essence de poésie vraie, pure d’affectation, libre de bégaiement ; je connaissais des vers qui, valant ceux des Harmonies pour la douceur des mots, les passaient par la force et l’inté-