Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/26

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rêt du sens. On ne me les avait pas donnés à apprendre, il suffisait de les recueillir de temps à autre sur les lèvres de ma mère, et, sans oser les redemander comme ceux de ma petite marraine, ils revenaient assez souvent pour les savoir par cœur :


… Ô mon souverain Roi,

Me voici donc tremblante et seule devant toi…


Quand elle se voyait entendue, ma mère ajoutait pour m’amuser qu’elle avait joué dans Esther au pensionnat. Elle avait fait Aman, avec une longue barbe sous le menton : « Nous riions, nous riions… Quand on est jeune fille… » Elle me nommait ses amies, dont je connaissais quelques-unes, qui faisaient Mardochée, Assuérus, ou la jeune reine. À tous ces gracieux souvenirs, je préférais une reprise du texte sacré :


À ces vains ornements je préfère la cendre

Et n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre…


C’était dans notre cher jardin fermé de Saint-Estève, où tant de vie et de bonheur tint en si peu de place ! Il y a longtemps que nous avons quitté, vendu ce petit paradis, mais rien n’en peut chasser le murmure des récitations éloquentes, qui souvent commençaient dès que la première hirondelle se mettait à tourner de son vol d’âme en peine sur le ciel à demi éteint. Accoudés sur le banc de pierre qui fait face à la maisonnette du paysan, nous laissions la veillée se prolonger dans la nuit noire, jusqu’à ce que la voix du rossignol partie des tilleuls et des arbousiers emportât, comme une aile au pays de mes songes, cette prière des prières où ce qui m’échappait était, sûrement, le plus beau.

Esther ne connut de rivale que le matin de mon arrivée au collège catholique d’Aix. M. l’économe m’avait remis, entre autres livres de classe, un cer-