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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

copieusement. Il faisait chaud : cette rosée ne me déplut pas.

— Che suis enjanté te l’afoir fu.

— Il avait tant de talent !…

Puis survint l’un des cordons du poêle, mon éditeur. Un homme sans lignes. Un dévalement de graisse ramassé sur de courtes pattes sphériques. Je lui livrais toute ma production poétique. Au point de vue de la vente, ma perte l’affectait peu ; mais il avait escompté mon titre d’académicien pour illustrer sa maison. Il ne laissa pas à Mme Godsill le temps d’affirmer que « j’avais du talent ». Ce fut lui qui le murmura le premier. Il partir sans m’arroser. C’était du reste dans ses habitudes.

Puis, second cordon de poêle… Ah ! que ne devinat-il tout ce que mon cœur lui déléguait de profonde et affectueuse gratitude, cet Hector Lentrain, mon collègue de demain sous la Coupole !… Son nom était tout un programme. Je ne possédais pas de plus fervent propagandiste que lui. Il m’avait ouvert le salon de la duchesse de Belleray, qui était — le salon ; certains prétendent la duchesse également, mais c’est pure calomnie — qui était un tremplin académique. Il usait même, pour m’assurer des voix, de véritables ruses parlementaires, en confiant à mes électeurs de la droite que j’avais été reçu par le pape — ce qui était vrai — et à ceux de gauche que j’étais apparenté au président de la Loge de Perpignan — ce qui était encore vrai — Excellent système, qui l’avait personnellement bien mieux servi qu’une trentaine de médiocres romans. Mais en toutes choses, hélas ! il faut considérer les petits côtés et je n’oserais jurer qu’une raison économique ne soutenait pas sa ferveur pour moi, de préférence à Firmin Tardurand, dont les romans connaissaient les gros tirages, alors qu’il ne se vendait, lui, Lentrain, qu’à quelques mille à peine. Néanmoins j’en bénéficiais et je me serais fait damner pour lui.

Hector Lentrain, Mme Godsill ne pouvait l’ignorer.