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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

mot « engueulade » ne saurait être épargné au dictionnaire de l’Académie.

— Tu n’es qu’un détrousseur !… et un idiot par dessus le marché ; car la pièce est connue, cataloguée !… Pour moi ? allons donc : c’est pour la bazarder, et te rouler dans la crapule !… je te connais !… Pauvre maman !… rapporte ça, entends-tu, et au trot !… Si elle n’est pas rentrée tout à l’heure, je te fais chambrer !…

Et clic ! le raccrochage de l’appareil, ma femme soulagée passait dans la salle à manger, avec son inséparable amie.

Ô mon Dieu ! mon beau poème d’amour, dans quel égout !…

Mais Tornada a raison. Tout se compense, tout s’équilibre ici-bas. Après la boue, la source claire. Voici Ninette. Voici la Vestale, celle-ci amenant celle-là adorer le papa toujours endormi. Elles s’agenouillent, elles joignent les mains. Je bois leur prière comme un philtre. L’oraison achevée, Mademoiselle met dans les mains de Ninette une paire de ciseaux :

— Va !… Va, ma chérie… Tu ne peux pas lui faire bobo…

Et l’enfant s’approche. Elle est juste assez haute. Gravement, héroïquement, elle me coupe une mèche de cheveux. De cette relique sacrée, Mademoiselle fait deux parts : l’une, qu’elle enveloppe pour elle ; l’autre qu’elle glisse dans un médaillon d’or. Elle y adapte une chaîne qu’elle passe au cou de ma petite.

— Toute la vie tu porteras cela sur toi. Toute la vie, pour te garder pure !…

Et mes divins fantômes s’évanouissent. Je viens d’éprouver ma plus poignante émotion.

La vie s’affiche devant mon être raidi comme sur l’écran d’un cinéma. Les personnages surgissent et se dissipent avec une étonnante opportunité. Ils prennent, dans la pénombre, un relief que mes sens tendus leur donnent peut-être. Nulle part, un tel