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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

concurrent au fauteuil Titon, sur qui se seraient portées quelques voix.

Je connais à peine cette physionomie sympathique d’historien, ne fréquentant guère le forum, toujours terré dans les bibliothèques. Je ne l’ai même vu qu’une fois. En galant confrère, il est venu s’excuser de se porter contre moi. Nous avons causé cordialement. Il m’a assuré qu’il ne voulait que prendre rang, qu’il se désisterait au premier tour en ma faveur, qu’il avait prié dans ce sens ses partisans. Je l’ai assuré de tout mon concours à l’élection suivante. Le voilà maintenant seul candidat en posture. Mais il n’en manifeste pas la bonne fortune. Il me fait don d’un regard apitoyé. Brave collègue ! il ne soupçonne pas le revirement de l’heure qui va suivre !…

Le revirement… Ah ! je peux bien parler de revirement avec Lucienne qui rentre ! C’est pour moi qu’il va se produire, le revirement !… et quel revirement !…

— Vous m’avez écrit, madame… dit Givers, pour me prier d’accompagner votre mari ?…

— Oui, monsieur, je vous serais reconnaissante de tenir l’un des cordons du poêle. M. le professeur Tornada, qui est un de nos amis, vous a désigné, le cas échéant, pour cette assistance.

— Je suis d’autant plus flatté de ce choix, ma dame, que je rendrai en même temps hommage à la mémoire du professeur Tornada.

— Pardon, monsieur… Que voulez-vous dire : à la mémoire ?

— Comment, vous ne savez pas ?

— Mais non, je ne sais pas…

Alors, Raoul Givers, troisième candidat au fauteuil Titon, tire de sa poche un journal tout frais, le déploie devant Lucienne stupéfaite et lui lit la manchette de la première page : le professeur Tornada écrasé par un autobus.

— Mort ?

— Mort.