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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

converti tous ses gestes en forfaiture. Sa présence me torturait.

Mais elle dissimula vivement son attirail. On venait de frapper à la porte.

— Je vous demande pardon, madame. Je sais qu’il est bientôt l’heure… Voulez-vous me permettre ?…

— Mais certainement, Mademoiselle.

— Et d’amener aussi ?…

— Ninette ?… Ah ! non, Mademoiselle. Ce n’est pas un spectacle pour les enfants.

Elle refusait, du même air de dignité sucrée avec lequel elle eût interdit à ma fille un Guignol au-dessus de son âge. Il n’y a vraiment que les femmes de cette espèce pour tancer haut l’inconvenance, protéger les mœurs.

— Non, pas Ninette… répéta-t-elle. Mais vous, Mademoiselle, bien volontiers. D’autant que ces émotions me tuent, et que je ne pourrai faire l’effort d’assister à la séparation définitive. Alors, à défaut de mon père, que j’avais prié de me remplacer, mais qui est retenu…

Ah ! je sais ce qui empêche Jojo ! C’est la dernière manille, le dernier apéro. Sa présence m’eût été d’ailleurs aussi odieuse que celle de sa fille. Le ciel ne peut pas me refuser une autre assistance !…

— Me rendrez-vous encore ce service ?

Mademoiselle incline la tête et Lucienne en profite pour se retirer. Allons ! le destin se fatigue d’être féroce. Je vais revoir Ninette.

Et la voilà, en effet. La voilà entre les bras de sa nouvelle maman. Pauvre chérie, elle dormait déjà. Ses yeux se rouvrent avec peine. Elle ne grogne cependant pas. Elle est si docile. Sur la prière de Mademoiselle, elle répète :

— Papa, je te promets d’être bien sage, toute ma vie, jusqu’au moment où j’irai avec toi, dans le ciel du Bon Dieu !…

Elle fait claquer les suprêmes baisers et sa