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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

tête lourde retombe sur l’épaule de celle qui la porte.

Vingt heures. Des voix dans l’antichambre. Des chocs de tréteaux dans le salon. On dispose pour la parade.

Mademoiselle rentre hâtivement. Elle n’a plus de larmes. Elle n’a plus de mots. Elle est la douleur incarnée.

Elle s’incline et halette :

— Ils sont là… Adieu !… mon Maître, mon poète…

Elle me glisse au doigt un anneau d’or qui ne la quitte jamais, qu’elle tenait de son fiancé tué.

Ô vierge qui m’aimas sans espoir et qui fus devenue néanmoins ma femme, ton offrande allait me permettre de surmonter l’épouvante et la révolte de la violation qui suivit. Des hommes apparurent. Ils étaient quatre. Deux portaient le cercueil ! Ah ! Tornada n’avait pas lésiné. La boite était en ébène, avec des poignées en argent ciselé, un intérieur capitonné de soie blanche. Mon démoniaque ami avait-il prévu qu’il ne mènerait pas jusqu’au bout sa stupide expérience ?

Les hommes, en s’étonnant de ma contracture : « ce qu’il est raide, celui-là… » me tirèrent de mon lit, m’étendirent dans le coffre. Délivré du sourire odieux du portrait, je ne reçus plus que l’adoration éperdue de la Vestale.

Et ce fut mon dernier émerveillement.

On m’enveloppa d’un drap. Le couvercle refermé m’enfonça dans le noir absolu.

Puis des coups de marteau, une soufflerie, des grincements, suivant un parcours rectiligne. On soude. Puis plus rien. Plus rien que des bruits extraordinairement étouffés. Je me sens soulever. On me fait tourner pour franchir des portes. On me cogne, au niveau de mon cabinet de travail. Je progresse encore et je suis enfin plus stable, plus haut que le sol, sur des tréteaux, dans le salon. Des tréteaux… toute la vie. Un peu de la mort…