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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Qu’importe, il faut renaître comme on naît ; dans la douleur.

Mon cercueil explose sous la dernière poussée d’un levier. On écarte mon drap. Ô lumière, je te retrouve !… Bénie, bénie sois-tu, lumière qui grandis, qui m’inondes, qui m’éblouis, à mesure que s’écarte mon couvercle ! Béni aussi ce visage tourmenté, grimaçant, convulsif, que percent des yeux aigus, que vêt un poil démesuré, désordonné ! Béni cet intérieur d’une maison de gardien de cimetière, avec des tableaux aux murs, une table familiale, où le couvert est dressé ; une cheminée où triomphe, sous un globe de verre, une couronne de fleurs d’oranger : est-ce une raison, parce qu’on subsiste de la mort des autres, pour renoncer à porter des oranges un jour ou l’autre ? Béni soit, en sa magnifique humilité, ce décor de ma résurrection !

Derrière Tornada qui brandit une petite seringue de Pravaz gorgée de 444, son mirifique anti-suc de Mathusalem, s’étagent dix rangs de têtes, cent paires d’yeux, qui me contemplent avidement, qui attendent le geste du chirurgien. Il y a les yeux anxieux de Lucienne, les yeux nébuleux de Jojo, les yeux crocheteurs du beau Guy, les yeux frénétiques de mes cordons de poêle, qui luisent d’avance au relief que leur donnera cette aventure. Et sous les yeux : des falbalas, des fards, des moustaches mal rechampies, des chasubles, des gibus de croquemorts, des plastrons de Présidents, des redingotes de Directeurs, des vestons élimés de poètes, que sais-je encore… il y a le tout Paris des enterrements et, débordant dans l’allée, la foule anonyme, tassée, grouillante, la foule des distractions gratuites, ahurie de cet énorme miracle : Tornada ressuscitant Étienne Montabert !

— Peing !… fait mon sauveur, en me plongeant son aiguille dans la fesse, à travers mon gala.

Comme c’est simple !… comme c’est rien !… comme c’est génial !… J’ouvre totalement les paupières. Je bâille, je m’étire. Je ris bêtement à la foule émerveillée