Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/329

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Mathilde ! Parmi tous les prénoms que le caissier haïssait, celui-là occupait une place privilégiée. Il faisait partie du petit groupe des prénoms maudits : Cunégonde, Joséphine, Rosa, Sidonie, Catherine, Pétronille… Et, tout à coup, il s’aperçut que jamais il n’en avait compris le charme. Il goûta la douceur de ces deux voyelles… a… i… En lui-même, voluptueusement, il caressait, il prolongeait cet i mélancolique et frais. Mathilde… Prononcer ce mot, n’était-ce pas affirmer la possession de l’être qui le porte ?… Mathilde !… En poésie, quel parti n’en pouvait-on pas tirer, en le modifiant à peine, et sans le défigurer : Mathilde… ma Tylda…

Une question de la jeune femme coupa sa rêverie, et creva la baudruche de son enthousiasme.

— Et vous, comment c’est qu’on vous appelle ?

— Un bien vilain nom… avoua-t-il honteusement. Anthelme… Anthelme Charibot…

— Anthelme ? fit-elle, surprise. Tiens, je ne le connaissais pas, celui-là !… C’est drôle, Anthelme !… C’est original… Mais on n’est pas responsable, hein ? Le tout, c’est de s’habituer !

— Croyez-vous que vous y arriverez ? demanda Charibot, confus.

— C’est déjà fait, mon loup chéri, déclara Mathilde avec simplicité.

Avant d’arriver au logis, la jeune femme avait appris de son nouvel ami tout ce qu’il lui était utile de connaître. Elle savait que le père Charibot était célibataire et privé de famille, qu’il tenait la grande caisse dans une importante librairie, que sa situation financière surpassait de beaucoup la modestie de ses goûts, qu’il était occupé tous les jours de neuf heures à midi et de deux heures à six, et qu’il avait poursuivi jusqu’alors ce rêve inaccessible : la tendresse d’une femme aimante, installée dans son appartement et dans sa vie. De ces divers renseignements, elle se promit d’user avec sagacité. Elle avait, par horreur du travail, préféré la prostitution à l’atelier, mais elle