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et des antiquaires ; son trajet lui paraissait interminable ; il courait, dans sa hâte d’arriver ; à peine prenait-il le temps d’acheter quelques roses ou une douzaine d’œillets : le paradis l’attendait.

Le soir, parfois, il décommandait son repas et il emmenait Mathilde au restaurant. Il n’osait lui donner le bras, mais il allait, serré contre elle, oublieux de l’univers. Elle portait une jupe grise, simple et nette de coupe ; des chemisettes légères à travers lesquelles on apercevait la chair de la gorge et des bras ; un chapeau de paille blanche garni de violettes ; et elle allait, calme, sérieuse, ne regardant ni à droite ni à gauche, d’un pas menu, honnête et décidé.

M. Charibot aimait, par-dessus tous les autres, un petit restaurant italien de la rue de Ponthieu. Il ouvrait la porte, s’effaçait, et Mathilde entrait la première. La salle était longue et étroite. On passait devant le comptoir, et la patronne saluait avec un sourire avenant :

— Bonsoir, messioû… Bonsoir, madame…

Le gérant s’avançait aussitôt, cordial, familier les garçons s’affairaient ; de loin ils criaient les commandes :

Due ravioli !

Costolette milanese !

Spaghetti al sugo !

Des fresques rudimentaires étalaient aux regards leur pittoresque composite : le campanile de Florence voisinait avec le palais des Doges ; et un lustre en verre de Venise, aux couleurs italiennes, embrasait des grappes de raisins verts, blancs et rouges.

consultait la carte d’un air indifférent, en se passant la main dans les cheveux ; Mathilde attendait, bien sage ; elle regrettait seulement que le menu ne contînt ni bœuf bourguignon, ni lapin sauté, ni salade de museau. Mais elle aimait furieusement le zabaglione.