Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/339

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s’exaltait.

— Nous irons… nous irons en Italie, tous les deux !… C’est un voyage dont je rêve depuis ma jeunesse. Rien ne m’empêchait de le faire, et pourtant je ne l’ai pas fait. Je me demandais souvent pourquoi je n’arrivais pas à m’y décider !… C’est le destin qui le voulait. Je vous attendais. Nous devions le faire ensemble, pour en mieux sentir la beauté… Tout est miraculeux, dans notre rencontre !

— Pour sûr que ce n’est pas une affaire ordinaire, acquiesçait Mathilde.

Mais elle se réjouissait davantage à la pensée des trois semaines que, durant le mois d’août, ils iraient passer en Bretagne. Elle ne connaissait la mer que par les chansons de Botrel et les romans feuilletons. Charibot la lui décrivait lyriquement. Elle savait qu’elle y pourrait pêcher des crevettes vivantes. Et son aventure lui paraissait si incroyable que, comme M. Charibot, bien que pour d’autres raisons, elle se demandait parfois avec anxiété si elle n’allait pas s’éveiller après un songe trop beau.

À mesure que les semaines s’ajoutaient aux semaines, elle sentait croître sa sécurité et se multiplier ses ambitions.

Elle n’avait pensé d’abord qu’à s’assurer la situation, déjà fort enviable, de femme entretenue. Elle en jouissait pleinement. Mais elle se rendait compte que ses rapports avec M. Charibot présentaient une sorte de caractère anormal et exceptionnel dont elle avait le droit de s’inquiéter. En somme, qu’étaient-ils l’un pour l’autre ?… Elle avait cru agir fort habilement en se refusant à lui, et elle se demandait maintenant si elle ne l’enchaînerait pas d’un lien plus fort en lui révélant des voluptés dont il ne devait avoir qu’une assez mince expérience. D’autre part, comment le lui faire entendre ?… Avec ce vieux bavard, chez qui tout se passait en discours et qui pleurait d’extase sur sa chasteté, sur sa pureté, sur sa noblesse, ce serait peut-être une maladresse grossière que de lui