Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/344

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montant son escalier, la joie et la hâte quotidiennes ; il grimpa les marches lentement, une à une, au lieu de les franchir au galop, deux à la fois, et d’arriver au cinquième suant et palpitant. Une nuée d’angoisse embrumait son âme, jusqu’alors rayonnante. Il s’était entièrement convaincu de son erreur ; il savait, à n’en pas douter, que Mme Diamant était à mille lieues de faire allusion à lui lorsqu’elle avait craché cette phrase maudite. Mais il ne pouvait rien contre son trouble. Pour la première fois, il admettait que le bonheur d’un homme peut le rendre odieux à ses compagnons d’existence, et qu’il faut le dissimuler comme un crime si l’on n’en veut être châtié… Pourtant, ce n’était pas de lui qu’il s’agissait !…

Quand il se trouva face à face avec son amie, qu’il revit cet aimable visage souriant, qu’il reçut le regard tranquille de ces beaux yeux lumineux, son anxiété devint rancune et remords : rancune, contre celle, qui, par son propos fortuit, avait altéré la sérénité de son cœur ; remords, contre lui-même, qui avait eu la faiblesse de supposer qu’il pouvait être en cause, et la lâcheté, l’ayant admis, de ne pas revenir aussitôt sur ses pas pour exiger de Mme Diamant des éclaircissements immédiats. La jeune femme s’aperçut que M. Charibot lui cachait un souci. Elle lui demanda :

— Qu’est-ce qui ne va pas, ce matin ?… On vous a fait des misères, à votre boîte ?

— Mais non… Mais non… répondit précipitamment le caissier. Pourquoi me demandez-vous ça ?… Tout va parfaitement.

— Il me semblait… répondit Mathilde. Vous n’êtes pas si gai que d’habitude.

— C’est que j’ai un gros travail en ce moment… balbutia Charibot d’une voix honteuse. Vous comprenez… Avec le départ qui s’approche, il faut que je revoie tous mes comptes pour les passer à mon remplaçant… Ce n’est pas une petite affaire… On ne se figure pas… Une comptabilité pareille !… Mais tout