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soir où commence ce récit, s’en allaient pour une quinzaine d’heures, répétant leurs ordinaires recommandations, mais pour la forme : qu’elle attendît sa cousine Rose qui lui viendrait servir de compagne de lit, et, celle-ci venue, qu’elle fermât bien la porte et n’ouvrît à personne, et qu’elle eût l’oreille au chien.

Médor tirait sur sa chaîne dans un impatient aboi vers son maître. La jument rouge dérapa sous son fardeau double. Quelques secondes, la jeune fille regarda le groupe sonore fuir sur le chemin, le grand chapeau noir aux bords infléchis, et la coiffe du pays de Caux adoptée par sa mère, la coiffe de la conquête, plus haute que le casque de Minerve, qui dansait au rythme du trot, sur le fond de pourpre du couchant.

C’était la mi-juillet aux courtes nuits bleues. Au delà du marais et du fleuve, le soleil éclaboussait de roses incarnadines les blanches déchirures féodales des rocs où se démantèlent les tours de Tancarville. L’enfant entr’ouvrit son fichu croisé à la fraîcheur du crépuscule. Elle ferma au loquet la grande porte, dit naïvement : Bonsè (bonsoir) à ses bonnes poules qui caquetaient à voix basse dans le poulailler, d’une étrange voix confuse et grave de vieilles en confidences. Le chien s’était endormi très vite anormalement. La cousine bientôt frappait au heurtoir. Et, après un frugal souper de lait sûr, les deux jeunes filles montaient à leurs chambres en causant de leurs innocents fleuretages.

Elles formaient un vif contraste : Denise, brune, gaie, pleine de sève ; Rose, blonde, chlorotique, renfermée, de geste lent. Celle-là se décoiffait avec des rires ; l’autre, assise bas sur une chaise de paille, dénouait les lacets de ses souliers : son regard machinal errait par la chambre, quand elle étouffa un cri. Sous le lit, là, un homme allongé !

— Ah !

Sa camarade, toute à ses gazouillis d’oiselle, ne perçut de ce ah ! d’angoisse qu’un faible soupir auquel elle se méprit.