un voyageur isolé. Les steamers de Cincinnati s’arrêtent quelquefois ; mais celui-là vient de Saint-Louis.
— Et Pierre Wilks était à son aise ?
— À son aise ? Je crois bien : des terres, des maisons, des esclaves, sans compter la tannerie qui, à elle seule, vaut au moins dix mille dollars.
— Quand est-il mort ?
— Hier au soir.
— Alors l’enterrement aura sans doute lieu demain ?
— Oui, vers le milieu de la journée.
Lorsque nous arrivâmes au vapeur, il avait presque fini de charger et ne tarda pas à lever l’ancre. Le roi ne parlait plus de monter à bord, de sorte que je perdis ma promenade. Dès que le steamer se fut éloigné, il me fit remonter le courant en pagayant, puis il débarqua à un mille plus haut et se coucha sur l’herbe.
— Maintenant, me dit-il, repars bien vite et amène-moi le duc avec les sacs de voyage neufs. Préviens-le de ma part que le caméléopard est enfoncé, que nous sommes attendus à Nantuck, et que je lui recommande de se mettre en grande tenue.
Je commençais à deviner de quoi il retournait ; mais je me gardai de dire un mot, naturellement. Quand je revins avec le duc, nous cachâmes le canot. Le roi s’assit sur un tronc d’arbre à côté de son associé et lui répéta tout ce que notre jeune passager lui avait raconté. En parlant il cherchait à imiter l’accent anglais et Bridgewater lui dit qu’il s’en tirait assez bien.
— Et vous, demanda le roi, saurez-vous faire le sourd-muet ?
— J’ai vu causer des sourds-muets, répliqua Bridgewater, et je serai moins embarrassé que vous. Il faut que je vous donne une leçon pour que nous paraissions habitués à parler par signes. L’essentiel, c’est d’aller très vite, comme si on avait l’alphabet au bout des doigts.
La leçon dura une demi-heure tout au plus. Il ne s’agissait plus que d’attendre le passage d’un steamer. Nous en vîmes défiler trois ; mais