Page:Les Aventures de Huck Finn.djvu/226

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au courant et nous sortîmes par la croisée, en nous glissant le long du conducteur du paratonnerre. Tandis que nous gagnions la ville, je racontai à Tom les dangers que j’avais courus pendant mon voyage. Loin de me plaindre, il répétait sans cesse : « Ah ! comme je regrette de n’avoir pas été de la partie ! »

Il était près de huit heures et demie lorsque nous atteignîmes l’entrée de la ville. À peine avions-nous dépassé les premières rues que nous vîmes arriver une foule de gens, dont la plupart brandissaient des torches et faisaient un vacarme à réveiller les morts. On hurlait, on chantait, on grognait, on soufflait dans des cornets à bouquin, on battait le rappel sur des casseroles. Quel charivari ! Nous dûmes nous jeter de côté, pour ne pas être renversés par cette avalanche. Pendant le défilé, je vis que la bande emportait le roi et le duc, qui, tant bien que mal, se tenaient à califourchon sur une barre de bois. Du moins, je devinai que c’étaient eux que l’on escortait ainsi, car ils ressemblaient plutôt à de monstrueux panaches de corbillard qu’à des êtres humains. On leur avait barbouillé le corps d’une couche de goudron à laquelle adhérait le contenu d’un lit de plume.

Certes, si la punition était rude, les deux associés ne l’avaient pas volée ; cependant, je ne pus m’empêcher de la trouver cruelle. J’interrogeai un traînard, qui nous raconta comment les choses s’étaient passées. Les spectateurs n’avaient pas laissé au duc le temps d’annoncer une seconde représentation du fameux intermède. Au moment où le caméléopard commençait ses gambades, M. Burton avait donné le signal, et… vous savez le reste.

— On va les jeter à l’eau, dis-je à Tom.

— Pas de danger, répliqua-t-il. Où as-tu vu habiller ainsi des gens que l’on songe à pendre ou à noyer ? Ce serait du luxe. On ignore que ce sont des voleurs ; on croit n’avoir affaire qu’à des vagabonds auxquels cette promenade ôtera l’envie de revenir. Pour ma part, je ne leur en veux pas, puisqu’ils nous laissent un prisonnier à délivrer. C’est là ce qui m’intéresse le plus.