Aller au contenu

Page:Les Aventures de Huck Finn.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pétersbourg. Avec mon canot, je pourrais traverser la nuit jusqu’à la ville, si j’ai besoin de quelque chose, et faire mi-a-ou sous la croisée de Tom. Ce sera une fière surprise pour lui ! Oui, l’île Jackson me va.

Je finis par m’endormir. Lorsque je me réveillai, je me demandai où j’étais. Je me redressai et regardai autour de moi, un peu effrayé. Au bout d’une minute, je me rappelai tout. Le fleuve me semblait avoir plusieurs milles de largeur. La lune répandait une telle clarté que j’aurais pu compter, à des centaines de yards de distance, les troncs d’arbres que le courant emportait. Aucun bruit ne se faisait entendre et la fraîcheur de l’air annonçait qu’il était tard.

Je bâillai et m’étirai les bras. J’allais démarrer pour me mettre en route lorsque le silence fut troublé par un son qui m’arrivait comme en flottant sur l’eau. Je prêtai l’oreille ; il me sembla saisir le son sourd et régulier que produisent les avirons la nuit en grinçant contre les plats-bords. J’écartai les branches. C’était bien cela ; une barque se montrait au loin. La distance m’empêcha d’abord de distinguer le nombre des rameurs, car je pensais qu’il devait y en avoir plus d’un. Quand elle se rapprocha, je vis qu’elle ne portait qu’un seul homme. Avant d’être parvenue en face de ma cachette, elle quitta le milieu du fleuve pour longer la côte, où le courant est moins rapide. Elle passa si près de moi que j’aurais presque pu la toucher avec ma gaffe, et je reconnus mon père. Il n’avait pas trop entamé sa provision de whisky, à en juger par la façon dont il maniait les avirons. Je ne l’attendais pas si tôt et j’eus joliment peur.

Je ne perdis pas de temps. Cinq minutes plus tard, je filais rapidement à l’ombre des bords. Je fis ainsi deux milles et demi, puis je m’avançai vers le milieu du fleuve. Je ne voulais pas passer trop près de l’embarcadère du bac, d’où l’on aurait pu me voir et me héler. Je me recouchai au fond du canot et le laissai suivre le courant. C’est étonnant comme le ciel paraît profond quand on le contemple, étendu sur le dos, par un beau clair de lune. Et comme on entend de loin sur l’eau par une nuit pareille ! J’entendis très bien parler et rire sur l’embarca-