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LES BRAVES GENS.

en veste rouge, sur un cheval pur sang, à travers des paysages bien peignés, qui semblent l’œuvre de quelque aquarelliste. Bois, prés, champs, tout défile avec une rapidité fantastique, sans compter les chutes de cheval, qui ont bien leur côté poétique. À supposer que le gentleman désarçonné ne se rompe pas le cou, c’est déjà un spectacle assez poétique que de voir un pair du Royaume-Uni, en casaque de jockey, étendu sur le dos au fond d’un fossé, et montrant au ciel la semelle de ses bottes !

Dans l’arrondissement de Châtillon-sur-Louette, la chasse au renard était beaucoup plus prosaïque et beaucoup moins hygiénique. Lorsque M. de Ferrier, le receveur particulier, celui dont la belle barbe avait fait l’admiration de Marthe, était las de bals et de soirées, et qu’il éprouvait le besoin de respirer l’air pur de la campagne, il donnait le mot à cinq ou six bons compagnons, et l’on prenait rendez-vous à une ferme qu’il avait à deux lieues de Châtillon. Il n’était pas question le moins du monde de jouir de la beauté du ciel, de la fraîcheur des bois, de l’étendue des horizons, ni même, à proprement parler, de chasser le renard. La chasse était un prétexte ; mais le but véritable était de faire, entre amis, un de ces festins pantagruéliques dont on rougirait à la ville, mais qu’autorise la liberté de la campagne et l’équipement de chasseur. C’est une simple question de lieu et de costume. À la ville, en cravate blanche, vous seriez tout simplement un goinfre ; à la campagne, avec une cravate à la Colin, vous êtes « une belle fourchette ».

Or, M. le receveur était une belle fourchette, et chacun de ses amis était une belle fourchette. Quand on était repu, le second ou le troisième jour, une des fourchettes demandait en bâillant si l’on n’allait pas chasser le renard. Et toutes les autres fourchettes reprenaient sans enthousiasme : « C’est cela, chassons le renard. » On prenait des chiens, quelques terrassiers, et l’on partait sans se presser. Tantôt on enfumait maître renard dans son domicile, et quand il fuyait, on le faisait happer par les chiens. Tantôt on lançait les chiens dans le terrier ; le renard s’acculait dans quelque recoin de son labyrinthe, et l’on attendait longtemps sans voir rien venir. Les uns se couchaient sur l’herbe, pour faire un petit somme, la tête à l’ombre et les pieds au soleil ; les autres allumaient une pipe, en se disant que ce serait autant de pris sur l’ennemi. Deux ou trois seulement, moins