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LES BRAVES GENS.

— Nous installons les Loret ici ; ils sont à la fin de leur bail, et comme on veut les augmenter, ils cherchent ailleurs, je le sais. Mais les loyers ont tellement monté depuis quelques années, qu’ils ne trouveront rien de convenable pour ce qu’ils peuvent offrir. Nous ne sommes pas des Arabes, nous autres, et nous pouvons bien leur laisser la maison au prix qu’ils payent là-bas. »

M. Aubry ne soufflait mot ; il écoutait avec attention, les yeux fixés sur sa femme, et se contentait de remuer de temps en temps la tête, en signe d’approbation. Ici cependant il se permit d’interrompre.

« Je crois que j’ai suivi ton raisonnement d’un bout à l’autre, et je trouve que tu as raison comme toujours ; mais je ne comprends pas bien comment tout cela empêchera ce pauvre diable de partir s’il a un mauvais numéro. J’avoue que je m’enferre un peu… »

Mme  Aubry sourit et leva l’index comme un orateur qui fait appel à l’attention de son auditoire.

« Comment, mon pauvre bonhomme, comprendrais-tu très-bien ce que je ne t’ai pas encore dit ?

— C’est donc cela ! dit le goutteux avec un mélange de confusion et de contentement.

— Il faut qu’il s’achète un homme.

— C’est clair. (Hochement de tête pensif.)

— Mais il n’a pas d’argent.

— Pas le sou. (Hochement de tête mélancolique.)

— Oui, mais nous en avons, nous ; ou du moins si nous n’en avons pas, nous pouvons facilement emprunter la somme nécessaire. Nous offrons, Dieu merci ! assez de garanties. (Ici Mme  Aubry promena un regard de satisfaction sur le salon triangulaire.) On peut prendre hypothèque sur cette maison ou sur notre petit bien de Labridun. Nous rachetons Camille. Il a un bon état dans les mains, et une clientèle toute trouvée.

— Et une fameuse clientèle ! dit le maître d’armes avec un légitime orgueil.

— Et une fameuse clientèle, comme tu le dis si bien. Il gagne de l’argent et nous rembourse au fur et à mesure. Maintenant, si cela ne te va pas, tu n’as qu’à le dire. Mais alors, explique-moi comment nous pouvons le tirer de là autrement : car il y a une chose certaine, c’est qu’il faut le tirer de là. »

M. Aubry eut l’air de réfléchir. Les mots d’emprunt et d’hypothèque sonnaient mal à son oreille, sans qu’il pût dire pourquoi. Dans sa