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LES BRAVES GENS.

duire, en apprenant qu’il jouait à Paris le rôle ambigu et déshonorant des gens qui se mêlent à toutes les bagarres d’étudiants, sans être étudiants, et à tous les mouvements d’ouvriers, sans être ouvriers « Le coquin, disait M. Aubry, était venu faire son coup parce qu’il me croyait à la campagne. » Cette petite aventure donna à réfléchir aux ouvriers raisonnables. Quant à Jean, il était muet d’admiration, et M. Aubry prenait dans son imagination toutes les proportions d’un héros.

Le jeudi suivant, il obtint de son oncle la permission de l’accompagner à Labridun, pour voir le grand homme, le modèle du courage civil. À sa grande surprise, le modèle du courage civil, les manches retroussées, et les pieds dans de vastes sabots, arrosait ses laitues. Il fut fort étonné que son aventure eût fait du bruit, et refusa obstinément le brevet d’héroïsme que lui offrait l’admiration de Jean.

« Parlez-moi de l’homme que voilà, » dit-il à Jean, en désignant le capitaine avec son arrosoir, voilà un héros, celui-là ! » Et il se mit à raconter l’histoire du lieutenant Taragne, en ajoutant une petite circonstance, supprimée par le premier narrateur. C’était l’oncle Jean lui-même qui s’était dévoué dans cette rencontre.

À l’époque de la déroute de Philoxène, Jean savait en fait de latin et de grec ce que sait un bon élève de quatrième, c’est-à-dire pas grand’chose (ce n’était pas sa faute ni celle du maître, mais celle de la méthode vicieuse dont on use en France, de temps immémorial). Du moins il avait déjà de la lecture, et le jugement assez formé pour distinguer Ovide de Virgile, pour comprendre que la Cyropédie est un roman, que l’histoire de Quinte-Curce en est un autre, et même assez mal construit, mais que l’Anabase est un chef-d’œuvre. Il tournait assez bien les vers latins, et se débrouillait en histoire et en géographie.

Si vous ajoutez à cela que Jean s’était pris à grandir subitement, qu’il avait la taille mince et élancée, et le visage un peu pâle, vous vous ferez une idée exacte du nouvel élève que Mme Defert présenta au principal du collège, afin qu’il fût inscrit pour la rentrée prochaine.

Monsieur le principal ne pouvait voir d’un bon œil ce produit de l’industrie sombrettique. Il ne pouvait non plus voir de mauvais œil l’héritier d’une des familles les plus riches et les plus considérées de Châtillon. Il prit donc un moyen terme, et le considéra d’un œil digne et froid par-dessus ses lunettes.

Lorsque Mme Defert lui eut dit que, selon l’opinion de M. Sombrette,