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LES BRAVES GENS.

qu’est-ce que je fais, moi ? Je lui donne en passant un bon coup de coude, à ce malhonnête ; s’il n’est pas content, nous nous expliquons gentiment derrière un mur. » Le capitaine trouva l’idée originale, et promit à Thorillon de le protéger.

Et voilà par quelle série de manœuvres Thorillon était devenu le factotum de M. Nay. Au bout de quelques années, il le suivit, quand ce dernier alla voir du côté de Caudebec, de Villequier et de Tancarville ce que l’on pourrait faire de mieux pour obvier aux inondations de la Basse-Seine. Marguerite était installée dans un joli pavillon, à dix minutes de Caudebec, sur la route de Villequier, près de l’ermitage de Barre-y-Va. Elle ne laissait pas passer une semaine sans écrire à sa mère. Il lui arriva de dire, à plusieurs reprises, que Thorillon jusque-là avait été un génie méconnu : il était devenu le serviteur le plus vigilant, le plus actif et le plus industrieux, sans compter que c’était toujours la même créature dévouée et inoffensive.

M. Nay était parfois absent des journées entières, et Thorillon était une véritable ressource pour la jeune femme. Il l’escortait partout, comme le plus dévoué des gardes du corps. « Il n’est point sot, ajoutait Marguerite, et c’est un passe-temps de le voir tenir tête aux plus rusés Normands qui viennent ici offrir leur beurre, leurs œufs et leurs canards. Il me parle de vous tous avec une tendresse qui me fait quelquefois venir les larmes aux yeux. Tout ce qu’il voit ici l’émerveille et l’intéresse, et il se demande avec inquiétude si on le croira à Châtillon quand il racontera tout cela. Nous avons assisté dernièrement au passage du mascaret. Je ne sais pas si sa physionomie et ses réflexions ne m’ont pas autant intéressée que le mascaret lui-même. Ah bien ! s’écriait-il, voilà du neuf par exemple, un fleuve qui remonte son cours plus vite qu’un cheval au galop, c’est trop fort ! et cette barre ; ce mur d’eau de douze pieds de hauteur et ces tortillons d’écume sur les deux rives à mesure que ça remonte ; et les barques que le flot prend sur son dos au lieu de les engloutir en passant dessus ! Pour ça, jamais de la vie je n’en parlerai aux gens qui n’ont vu que la Louette. Je n’ai pas envie de passer pour un effronté menteur. — Il s’inquiète beaucoup de l’entrée de Jean au collège. Il a conservé un très-mauvais souvenir des collégiens de Châtillon, qui lui tiraient la langue en se rendant au collège, ou lui allongeaient de grands coups de règle. Il se demande s’ils sont toujours aussi batailleurs, et si Jean ne sera pas obligé de faire le coup