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LES BRAVES GENS.

même que vous avez une fort belle écriture, et que vous pourriez recopier les rapports et les travaux de M. Nay. »

Thorillon rougit d’orgueil et de bonheur, et se retira à reculons, en saluant profondément.

« Mon Dieu ! pourquoi pas après tout ? » dit Mme  Defert, quand il eut disparu.

Quant à Baptiste, partagé entre l’espérance et la crainte, il descendit l’escalier à pas de loup (la discrétion dans les mouvements est une des qualités du bon domestique) et pensa qu’une petite promenade au bord de la rivière ne serait peut-être pas une mauvaise chose pour calmer l’agitation de ses nerfs.

À l’un des tournants de la Louette, il aperçut le capitaine Jean, qui, planté sur la rive, suivait des yeux le bouchon de sa ligne.

L’esprit d’intrigue s’éveilla subitement chez Thorillon ; il se dit qu’un protecteur de plus, et un protecteur comme le capitaine Jean, ne gâterait rien à son affaire. Il s’avança donc sans faire le moindre bruit ; quand il fut tout près, le capitaine se retourna et lui adressa un salut amical, sans se déranger. L’autre porta un doigt à ses lèvres, pour donner à entendre qu’il serait muet comme un poisson, et fit signe au capitaine de continuer sa pêche. Il jeta les yeux sur un panier d’osier où une cinquantaine de goujons frétillaient dans l’herbe fraîche. Le capitaine s’étant retourné de nouveau, cet intrigant de Thorillon fit le geste de quelqu’un qui s’émerveille de voir tant de poissons à la fois.

« Ça ne mord plus, dit le capitaine, en rompant brusquement le silence ; et il retira sa ligne de l’eau.

— Je crois bien que ça ne mord plus, répondit Thorillon, d’un ton insinuant : vous les avez tous pris ! »

Le pêcheur sourit, en passant la main sur sa moustache. Thorillon se précipita vers lui, lui prit la ligne des mains, et la démonta lestement ; après quoi, il se chargea du panier, malgré les protestations du capitaine, et, chemin faisant, lui conta son affaire. L’oncle Jean fut d’abord un peu surpris, puis, après mûre réflexion, il dit qu’il comprenait l’idée de Thorillon. Ce dernier, que le désir de réussir rendait inventif, trouva encore un argument tout neuf. « M. Nay, dans ses travaux, doit avoir affaire à un grand nombre d’ouvriers ; je les connais, les ouvriers : il y en a de bons, mais il y en a aussi de mauvais. Une supposition : Un ouvrier manque à Monsieur ; un Monsieur comme Monsieur ne peut pas se colleter avec le premier venu. Alors