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LES BRAVES GENS.

cet épisode héroïque, comme s’il rejaillissait sur lui-même quelque chose de la gloire du héros.

L’un des plus émerveillés, c’était le jeune Cyprien Loret, qui venait de faire, sans éclat, son entrée en huitième. Toute la famille regardait avec une curiosité respectueuse le premier des Loret qui eût mis le pied au collège, c’est-à-dire dans la voie des études classiques, et qui fût devenu, par ce seul fait, un aspirant aux professions libérales. Le drôle en abusa un peu pour tenir le dé de la conversation pendant tout le souper. La famille apprit ainsi, avec intérêt, que le professeur de huitième était chauve et rougeaud, qu’il avait une cravate blanche et une chaîne de montre en or ; que les élèves avaient des tuniques trop longues ou trop courtes ; que son voisin Lerminot l’avait traité d’ourson, et lui avait demandé s’il ne ferait pas tondre sa vareuse au printemps. — Chacun des membres de la famille Loret reporta les yeux sur sa propre vareuse, et tout le monde se mit à rire. — Mais où l’on ouvrit de grands yeux et de grandes oreilles, ce fut lorsque le nouveau collégien raconta que Lepéligas avait voulu aplatir le nez de Jean, et que Jean lui avait aplati le sien de la bonne manière. Il y eut des hourras ! et le père de famille ayant réclamé le silence en frappant sur la table avec le manche de son couteau :

« Et les autres collégiens, que disent-ils de cela ?

— Ils disent que c’est bien fait.

— Entends-tu, maman, dit M. Loret en regardant sa femme : les autres collégiens disent que c’est bien fait ; et moi, je dis que ce sont de braves garçons. Attaquer M. Jean ! Et lui, avec son air tranquille, qui aplatit le nez de l’autre. Oh ! quelle bonne farce ! »

Un coup de sonnette retentit, et l’on entendit la voix de l’oncle Jean dans le corridor. M. Loret mit un doigt sur ses lèvres et recommanda le silence à tout le monde.

« Bonjour, capitaine ; vous ne savez rien de nouveau ? »

Le capitaine ne savait rien de nouveau. Ah si ! M. Aubry faisait construire un kiosque dans son jardin pour y boire de la bière en été. Il le ferait couvrir d’un toit chinois, avec des clochettes aux angles. À la description de ce palais des Mille et une nuits, tous les Loret restèrent bouche béante.

« Et M. Jean ? dit M. Loret.

— Jean travaille comme un ange (comparaison inexacte : les anges ne font point de versions grecques, et ne consultent ni le dictionnaire grec d’Alexandre, ni la grammaire de Burnouf).