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LES BRAVES GENS.

plus vite pour se débarrasser de son admirateur importun. Mais le pauvre petit bonhomme parut si surpris et si désappointé, que Jean aima mieux braver les plaisanteries des externes que de lui faire de la peine. Il lui adressa même quelques questions sur son travail et sur ses progrès.

Le petit élève de huitième faisait de son mieux ; mais, n’ayant aucun secours à la maison, il se fourvoyait souvent : en fait de livres, il se trouvait réduit au strict nécessaire. S’il lui arrivait de passer un mot dans sa dictée ou d’avoir mal entendu l’indication des leçons, il n’osait s’adresser à aucun de ses camarades ; il avait essayé les premiers jours, mais on s’était moqué de lui, on lui avait donné de fausses indications ; il disait tout cela naïvement, sans rancune, et tout étonné que sa vareuse fût l’objet de tant de remarques satiriques. Cependant il ne se décourageait pas ; il prenait en bonne part toutes les observations du professeur, même celles qui auraient dû être le plus pénibles pour son amour-propre. « Ça ne va pas trop bien, disait-il simplement ; mais le père dit que ça ne peut pas manquer d’aller mieux plus tard. Oh ! certainement, ça ira mieux ; car le père sait bien ce qu’il dit ! »

Jean racontait à sa mère les chagrins de son nouvel ami. « Pauvre petit, disait Mme  Defert, c’est pourtant touchant de voir un pauvre enfant, abandonné à ses propres forces, montrer tant de courage et tant de persévérance. Je connais la maison de ces braves gens : ils sont entassés les uns sur les autres ; je ne sais pas où le pauvre enfant peut trouver un coin pour faire tranquillement sa petite besogne.

— Il y a aussi, reprit Jean, trois cochons d’Inde, dont il me parle quelquefois, et un lapin merveilleux dont les gentillesses détournent son attention ; il résiste tant qu’il peut ; mais il dit que c’est plus fort que lui, et qu’il y a des moments où il faut absolument qu’il se lève pour aller l’embrasser. »

On parla d’autre chose, mais Jean venait de concevoir un projet ; il n’en dit rien, parce qu’il voulait le mûrir avant d’en faire part à qui que ce fût. Quelques jours après, ayant bien réfléchi, il alla trouver sa mère.

« Les devoirs de ma classe, lui dit-il, sont courts et faciles et ne me prennent pas tout mon temps. Il me semble que je pourrais aider le petit Loret, si tu n’y voyais pas d’inconvénient.

— L’idée est bonne, mais l’exécution présente des difficultés auxquelles tu n’as peut-être pas assez réfléchi. D’abord où le feras-tu travailler ?