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LES BRAVES GENS.

l’aspirant aux professions libérales. Seul il paraissait soucieux. Il se demandait dans sa jeune cervelle si, une fois qu’il serait dans la grande maison de la rue du Heaume, on ne le retiendrait pas de force pour faire de lui un pensionnaire. C’est qu’il avait toute fraîche dans la mémoire l’aventure d’un petit de sa classe, qu’on avait amené au collège sous le fallacieux prétexte de visiter ce monument, et derrière lequel la porte s’était bel et bien refermée. Depuis ce temps-là, il passait toutes ses classes à pleurer et à regretter un corbeau qu’il avait apprivoisé. « Je ne veux pas quitter la maison ! criait le jeune Cyprien en se cachant dans les jupons de sa mère. Je ne veux pas quitter les autres, ni les cochons d’Inde, ni le lapin, ni la balançoire. » Quand on lui eut bien fait comprendre quelle différence il y avait entre la maison de Mme Defert et un collège, et que M. Jean, l’objet de son admiration, l’aiderait dans son travail ; que peut-être, s’il était content de lui, il lui montrerait de belles images dans un grand livre, il dit qu’il voulait y aller tout de suite : il fallut dès lors modérer son ardeur.

Le jeune disciple de Jean fut d’abord émerveillé des splendeurs de la maison Defert. Jean ne put s’empêcher de jouir un peu de cette admiration naïve. Il demanda au petit garçon s’il aimerait à rester ? « Oh, mais non ! reprit l’autre avec plus de franchise que de politesse.

— Il n’est pas élevé, se dit Jean.

— C’est beau ici, mais j’aime mieux être chez nous ; on s’y amuse mieux. »

Jean est confirmé dans son opinion.

« Oh, la maison, elle est si amusante ! Quand on passe la tête par les lucarnes du grenier, on voit bien loin, bien loin, les bêtes dans les prés, et les grands nuages qui courent au-dessus de la forêt ; en se penchant un peu, on voit dans la rue les gens qui passent, avec une drôle de tournure ; et puis il y a la rampe d’escalier que l’on descend à califourchon ; vous ne feriez pas ça ici, vous, oh non ! ça n’irait pas ; et puis, il y a des trous dans les murs et des carreaux enlevés dans le plancher, et c’est bien plus commode pour jouer à cache-tampon ; et puis, il y a les cochons d’Inde et le lapin !

— Nous avons, dit Jean avec un grand sérieux, des poules, des pintades, des canards du Labrador, des pigeons… »

L’enfant secoua la tête. « Tout ça, dit-il, ne mange pas avec vous, et ne va pas se cacher sous votre lit : ce n’est pas si amusant ! Enfin,