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LES BRAVES GENS.

volonté et à son énergie, Jean trouva bientôt que ce n’était ni un métier vulgaire, ni un enfer. Son esprit y gagna bien quelque chose, car enseigner, c’est apprendre deux fois ; son caractère surtout s’y formait, et y prenait une nouvelle trempe.

Quand Michel de Trétan et ses amis apprirent que Jean faisait l’école à un petit ourson mal léché, ils trouvèrent là une source inépuisable de fines plaisanteries et de bons mots.

Ces messieurs, qui avaient horreur de la mauvaise compagnie (or, un collège n’a rien absolument de fashionable), recevaient à domicile une éducation très-distinguée, sous la direction de précepteurs soigneusement triés sur le volet. Car, il ne faut pas s’y tromper, il y a précepteurs et précepteurs, comme il y a fagots et fagots. Il y a des précepteurs moroses et exigeants qui veulent que l’on travaille assidûment, qu’on se couche tôt, qu’on se lève de bonne heure, que l’on se prive des plaisirs charmants du monde. Ceux-là sont les précepteurs à l’ancienne mode.

Le Châtillon moderne avait changé tout cela. Les vrais précepteurs (selon le Châtillon moderne) ont compris quels étaient les besoins du siècle ; ils ont suivi le progrès, ils savent qu’on ne peut former trop tôt la jeunesse aux belles manières et au beau langage, et que l’éducation se doit faire au moins autant dans le monde qu’à la salle d’étude. Ils n’ont rien de sévère, rien de rébarbatif. Ce sont les camarades de leurs élèves plutôt que leurs maîtres. Au lieu d’être confits dans le grec et le latin, et de porter de ces habits ridicules de pédants, ils sont du monde, eux aussi, et excellent à organiser une charade ou une sauterie.

Par exemple, le précepteur de Michel de Trétan était ce qu’on peut appeler un parfait gentleman. Ayant vu de bonne heure quel médiocre avenir ouvrent les sévères épreuves de la licence et de l’agrégation, il s’était bien promis de ne pas les subir, et se jeta dans le préceptorat par esprit d’aventure d’abord, et ensuite par paresse. Il avait couru le monde ; et au moment où M. de Trétan cherchait un précepteur pour son fils, il débarquait de Russie. Il avait de belles fourrures, des cravates « idéales », des bijoux éblouissants et un bavardage de bon ton qui séduisirent tout d’abord M. de Trétan. Et puis, il savait le russe ! Quelle nouveauté à Châtillon ! Michel, que l’on destinait à la diplomatie, apprendrait le russe en se jouant. Les renseignements sur le compte du postulant étaient favorables : on lui confia Michel.

Ce dernier ne mit pas longtemps à s’apercevoir que son mentor