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LES BRAVES GENS.

professionnel reprenant le dessus, il demanda à M. Defert pourquoi il l’avait sonné.

— Ah ! dit l’autre, ce n’est pas à vous que j’ai affaire ; et je suis fâché que vous vous soyez dérangé. Ayez l’obligeance de m’envoyer Thorillon. »

M. Jolain salua et disparut en faisant craquer ses bottes ; deux minutes après, la porte fut ouverte par un jeune garçon de quatorze ans, l’air doux et un peu effaré. Il avait des cheveux roux, coupés ras, des taches de rousseur larges comme des lentilles sur les joues et jusque sur les paupières. Son costume était des plus modestes.

« Me voilà, monsieur Defert ! dit-il en portant sa main à son front, comme pour ôter respectueusement une casquette imaginaire.

— Tu vois ce paquet de lettres ?

— Oui, monsieur Defert !

— Il faut les remettre toutes à leur adresse bien exactement.

— Oui, monsieur Defert !

— Tu m’as bien compris ?

— Oh ! monsieur Defert ! » dit le garçon roux d’un ton de doux reproche.

Le fait est que Thorillon était unique et n’avait pas son pareil pour faire les commissions. C’était, à vrai dire, un pauvre mérite, mais enfin c’en était un ; il y a tant de gens qui n’en ont pas du tout ! Comme il passait pour légèrement idiot, et ne pouvait trouver d’autre emploi de ses facultés restreintes, M. Defert, qui était un brave homme, l’employait à des travaux de copie, à cause de sa belle écriture, et surtout aux courses en ville, à cause de ses longues jambes et de son exactitude.

Thorillon alla décrocher sa casquette, se sangla d’une ceinture de cuir, dont il était très-fier, parce qu’elle lui donnait un faux air de messager officiel, et partit comme un trait à travers les rues de Châtillon-sur-Louette.

Ce n’est pas une grande ville que Châtillon-sur-Louette ; ce n’est même qu’une toute petite sous-préfecture. On ne se figure pas, malgré cela, tout ce qu’il faut de temps, même à un bon coureur comme Thorillon, pour y distribuer une douzaine de lettres. D’abord, les rues étroites y décrivent toutes les variétés de courbes imaginables, et se replient sur elles-mêmes autant de fois que le Méandre, de sinueuse mémoire. Puis, comme la ville est bâtie sur le flanc d’une colline, ce ne sont de tous côtés que montées et descentes, sans compter les