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LES BRAVES GENS.

« Robillard est-il un garçon dont Jean puisse faire son ami ?

— Un peu rustique, répondit le juge, mais intelligent, franc et loyal. Il a perdu sa mère étant tout jeune.

— Selon vos théories, reprit Mme  Defert, il doit être mal élevé, puisqu’il n’a pu être élevé par sa mère.

— Oh ! dit le juge, s’il y a des mères qui ne valent pas grand’chose, en revanche il y a des tantes qui valent de vraies mères. La tante Edmée, toute paysanne qu’elle est, a fort bien élevé ce jeune garçon. Quant au père Robillard, c’est le maire de la Chènevotte, bon cultivateur, dont le rêve est de voir son fils docteur en médecine.

— Jean assure que M. Robillard père n’a pas toujours le temps de venir à Châtillon les jours de sortie, et que son pauvre camarade doit s’ennuyer à mourir ces jours-là.

— Jean est un fin politique, avec son air naïf : il veut vous amener à faire sortir Robillard chez vous.

— Y voyez-vous quelque inconvénient ?

— Aucun, au contraire.

— Mais je ne puis demander ce garçon au principal sans une autorisation de son père.

— Si ce n’est que cela, je me charge de l’obtenir. » Et il l’obtint. Mme  Defert alla au collège pour voir Robillard avant de le faire sortir.

Le portier du collège était un ancien soldat, qui buvait beaucoup de petits verres à cause de ses anciennes blessures. Je ne sais pas au juste quel bien les petits verres pouvaient faire à ses blessures, mais ils communiquaient à son nez, qui était de grande taille et d’ordre composite, un coloris pourpré fort réjouissant à voir. Ses ancêtres lui avaient légué le nom de Sapiaux, qu’il avait illustré par les armes, attendu qu’en quatorze ans seulement il s’était élevé au grade de sergent. La malice des collégiens avait transformé ce nom en celui de Scipio auquel s’ajoutait tout naturellement le surnom de Nasica, en l’honneur de son nez. Scipio Nasica cumulait un grand nombre de fonctions, dont la plus lucrative était de vendre aux élèves des petits gâteaux avec un léger bénéfice de cinquante pour cent. C’était lui aussi qui allait appeler en cour les élèves que l’on demandait au parloir.